L’audace d’interpeller
L’audace d’interpeller
Évêché, le 15 janvier 2009
Mes chères collaboratrices, mes chers collaborateurs,
Depuis déjà quelques années, nous avons entrepris un nouveau développement pastoral et notre plan quinquennal nous amène à intensifier le mouvement pour envisager résolument la création de nouvelles paroisses. L’objectif n’est pas de supprimer toute vie chrétienne locale, ni d’abandonner qui que ce soit. Il s’agit plutôt de développer un réseau de solidarité, un courant de communion au service d’un même projet d’évangélisation.
« La vitalité des communautés chrétiennes impose qu’on revoie l’aménagement pastoral. On ne peut maintenir, à bout de bras, des communautés qui n’ont plus un minimum de consistance. Il s’agit de redonner du souffle et de provoquer de nouveaux élans1 ».
Mais comment cela se fera-t-il? Quelle somme de travail attend les prêtres et les agentes de pastorale? Des questions bien légitimes. Mais précisément, le renouveau paroissial ne saurait être l’affaire des seuls permanents, de la seule équipe d’animation pastorale mandatée. S’il en était ainsi, cela conduirait à exercer un ministère centralisateur qui s’opposerait à tout effort de créativité sur le terrain. Le renouveau paroissial nécessite plutôt la participation active des autres chrétiennes et chrétiens au coeur des communautés. Et cette nécessité s’enracine dans le mystère même de l’Église.
«VOUS ÊTES LE CORPS DU CHRIST»
Le pape Benoît XVI le rappelait récemment, « l’Église n’est pas seulement une corporation comme l’État, c’est un corps. Ce n’est pas simplement une organisation mais un véritable organisme2 ». L’apôtre Paul nous aide à le saisir en développant la comparaison du corps humain, un organisme vivant. Il exprime ainsi la diversité des membres et des fonctions dans le corps ecclésial. « Nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit pour être un seul corps… Or vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part » (1 Cor 12,13.27).
Tous les baptisés sont appelés, selon leur don et la diversité des services, à prendre leur part dans la mission commune. « L’œil ne peut pas dire à la main : je n’ai pas besoin de toi » (1 Cor 12, 21). Autrement dit, dans le corps ecclésial, personne n’est seul et personne n’est tout. « À chacun de nous la grâce a été donnée selon la mesure du Christ… afin de mettre les saints en état d’accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ » (Eph 4,7.12).
Vatican II insiste sur la coresponsabilité de tous les chrétiens au service de l’Évangile. « L’Esprit Saint distribue parmi les fidèles de tous ordres, « répartissant ses dons à son gré en chacun » (1 Cor 12,11), les grâces spéciales qui rendent apte et disponible pour assumer les diverses charges et offices utiles au renouvellement et au développement de l’Église3 ».
L’enseignement du concile peut se résumer en ces trois principes inséparables : les chrétiens sont :
- égaux «dans la dignité et l’activité commune» (LG, no 32)
- différents dans la fonction
- solidaires dans la responsabilité.
DISCERNER ET APPELER
L’enseignement de Paul comme celui de Vatican II nous laissent bien voir la direction que nous donne l’Esprit. La responsabilité commune dans le service de l’Évangile, n’est pas un simple accommodement pour pallier à la diminution du nombre de prêtres. C’est un impératif qui émane de la nature même de l’Église. Comme prêtres, comme membres d’équipes d’animation pastorale mandatée, il nous revient d’interpeller les personnes. À vrai dire, ne sommes-nous pas servantes, serviteurs du projet de Dieu sur les membres de nos communautés? Il y va d’ailleurs de la vitalité, de l’avenir de ces mêmes communautés.
Mais cela suppose un bon discernement des dons, des charismes que l’Esprit fait jaillir du cœur des baptisés afin qu’ils puissent collaborer activement à la mission. C’est tout le sens de la culture de l’appel.
Sans être exhaustif, il me semble que deux conditions peuvent favoriser ce discernement. Tout d’abord savoir poser un regard bienveillant, un regard théologal, sur les personnes. Assez spontanément, il peut nous arriver parfois de conclure qu’il n’y a rien à faire : les gens n’embarqueront pas. N’y a-t-il rien de plus paralysant? C’est vraiment oublier que l’Esprit nous devance dans le cœur des gens. Sommes-nous disposés à le reconnaître et même à nous en émerveiller?
Personnellement, l’attitude de l’apôtre Paul ne cesse de m’impressionner. Le regard qu’il pose sur les « saints » de ses communautés est toujours empreint du regard bienveillant du Père. Dès sa première lettre, il s’émerveille : « Sans cesse, nous gardons le souvenir de votre foi active, de votre amour qui se met en peine, et de votre persévérante espérance en notre Seigneur Jésus Christ, devant Dieu notre Père, sachant bien, frères aimés de Dieu, qu’il vous a choisis » (1 Th 1,3-4). Quel cœur de pasteur capable de lire de si belle façon les passages de l’Esprit dans la vie des gens!
Une seconde condition favorable me semble être le discernement en communauté ou en équipe, vécu dans la prière. Qu’il me suffise ici de rappeler l’expérience de l’Église d’Antioche. « Il y avait à Antioche, dans l’Église du lieu, des prophètes et des hommes chargés de l’enseignement : Barnabas, Syméon appelé Niger et Lucius de Cyrène, Manaen compagnon d’enfance d’Hérode le tétrarque, et Saul. Un jour qu’ils célébraient le culte du Seigneur et qu’ils jeûnaient, l’Esprit Saint dit : « Réservez-moi donc Barnabas et Saul pour l’œuvre à laquelle je les ai appelés ». Alors, après avoir jeûné et prié, et leur avoir imposé les mains, ils leur donnèrent congé » (Ac 13,1-3). Nous rejoignons ici la dimension communautaire du discernement. Après avoir discerné l’appel à se tourner vers les païens, les responsables de la communauté envoient ceux que l’Esprit leur a désignés dans la prière. Puisque nous sommes les serviteurs de la mission, il est donc vital d’avoir un cœur attentif à saisir les appels de l’Esprit, et dans un climat de prière, à discerner les membres de la communauté aptes à répondre à ces appels. Puisse l’Esprit Saint nous donner la force et l’audace d’interpeller!
LE MINISTÈRE DU PRÊTRE
Une dernière question : qu’en est-il du ministère du prêtre dans ce nouveau contexte ecclésial et missionnaire? Je vous livre ici une réflexion pertinente de Jean Rigal.
«Relevons, au moins, trois points d’attention :
1) L’ouverture missionnaire : toute communauté locale (dans la société comme dans l’Église) est menacée par le repli. C’est l’un des rôles prioritaires des prêtres d’élargir le regard des chrétiens à d’autres communautés ecclésiales, aux « signes des temps » de la vie sociale, à de nouveaux champs d’action. Ce n’est jamais acquis.
2) Le discernement pastoral : dans ce monde pluraliste et ouvert à tous vents, le discernement prend une singulière importance : « n’éteignez pas l’Esprit…mais discernez la valeur de toute chose » recommande saint Paul (1 Th 5,19-21; Rm 12,2). Le discernement met l’accent sur l’essentiel de la foi chrétienne au milieu de velléités de tous ordres, de notions secondaires et périphériques qui obstruent les vrais enjeux. L’Évangile est un message de libération, et en un sens d’émancipation par rapport aux déformations religieuses et au légalisme.
3) La jointure ecclésiale : ce service ministériel devient, entre les chrétiens, signe de reconnaissance et de communion entre eux, entre les communautés locales, et avec l’ensemble de l’Église, dans le temps et dans l’espace4 ».
Mes chères collaboratrices, mes chers collaborateurs, à ce stade-ci de notre plan quinquennal, il me semble important d’alimenter notre démarche, de mieux cerner des enjeux fondamentaux qui pourront baliser notre route et permettre une authentique configuration de nos paroisses. Bien modestement, j’ai tenté d’apporter certains éclairages.
Au début de cette nouvelle année, je prie l’Esprit Saint d’enraciner en vos cœurs une espérance qui vous permette d’avancer avec confiance dans votre mission pastorale.
† Raymond St-Gelais
Évêque de Nicolet
[1] Jean Rigal – Les paroisses nouvelles. Réflexions et propositions, Prêtres diocésains, octobre 2005, p. 473
[2] Audience générale du 10 décembre 2008
[3] Constitution dogmatique sur l’Église (LG), no 12
[4] Jean Rigal, art. cit. p. 478-479